Etablissement de paiement : un vrai challenge pour la France, par Bruno JOANIDES, le Journal du Net
La directive sur les services de paiement (DSP) transposée en France le 15 Juillet 2009 a créé un nouveau statut bancaire à structure légère : Les établissements de paiement. Mais la France est-elle vraiment préparée à accueillir ces nouveaux challengers ?
Depuis un peu moins d’un an, la directive sur les services de paiement (DSP) a été transposée en droit français, elle a introduit le concept d’établissement de paiement. Les établissements de paiement sont des structures légères capables de fournir des services et des moyens de paiement au même titre que les banques. Jusqu’à présent, les professionnels du secteur bancaires (Banquiers, Experts-comptables, Consultants, etc.) étaient restés discrets sur leur positionnement vis-à-vis des établissements de paiement (EP).
Cette phase d’étude touche à sa fin.
Les professionnels intéressés par ce marché sont sur le point de se dévoiler et proposer leur offre de service. Une tension concurrentielle se fait sentir, on fait attention à ce que l’on dit, on fait attention à ce que l’on fait. Chacun se place pour occuper l’espace qui se crée. On peut dire que la plupart des professionnels se seront positionnés d’ici septembre, ceux qui ne le feront pas seront en retard.
Mais tout ce monde a-t-il bien pris en compte la spécificité de la population constituant les futurs EP ? L’émergence des EP n’implique-t-il pas forcement une évolution du monde bancaire très codifié ? Sa population actuelle ne va-t-elle pas être contrainte de modifier ses habitudes de travail, de collaboration et repenser le modèle commercial pour pouvoir répondre aux besoins de ces nouveaux entrants ?
Pourquoi ce marché est-il différent ?
Tout d’abord parce qu’il est nouveau, le statut d’établissement de paiement à été créé par la DSP, on a donc aucun recul pour l’analyser ensuite parce que ce marché est différent par la nature et l’origine hétérogène des personnes morales et physiques intéressées par ce nouveau statut.
En effet, on peut classer ces personnes en deux catégories, celles issues du monde financier et celles qui ne le sont pas.
Dans la première catégorie, il y a évidemment les établissements de crédit, les operateurs télécoms et les acteurs de la grande distribution ayant décidé de créer une activité services et moyens de paiement supportant leur « core business ». Pour les banques qui décideront de se lancer dans l’aventure en créant des structures établissement de paiement, le processus, les services, l’organisation seront calqués sur ce qui est fait actuellement. Le savoir-faire est là, et ce qui guidera ces établissements sera la réduction des couts, la structure allégée des établissements de paiement pour s’établir à l’étranger et enfin la maitrise de leur chaine de paiement.
Ce n’est évidemment pas ce qui est le plus révolutionnaire dans la mise en place de la DSP. Le plus palpitant, ce sont tous ces nouveaux acteurs, ces start-up qui décideront de porter leurs idées, leur concept sur la création de produits et services innovants et qui verront dans le statut d’établissement de paiement un moyen pour y parvenir.
Or, ces nouveaux acteurs n’auront pas pour la plupart la culture bancaire, la culture de gestion des risques inhérente au fonctionnement d’un établissement de paiement.
Même si le statut d’établissement de paiement a été créé pour favoriser la concurrence et l’émergence de nouveaux acteurs et ceci grâce à des exigences réglementaires allégés par rapport à celles d’un établissement de crédit classique, il n’est reste pas moins que ces deux ensembles ne sont pas disjoints.
Par exemple, les exigences en termes de mise en place du contrôle interne d’un établissement de paiement se confondent exactement avec celles d’un établissement de crédit classique : cartographie des risques, mise en place de procédures de contrôle permanent et périodique, dispositif de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme, conformité. Les EP sont au même titre que les établissements de crédit assujettis au Règlement n° 97-02 relatif au contrôle interne des établissements de crédit et des entreprises d’investissement.
En outre, les futurs s établissements de paiement doivent disposer d’un solide dispositif de gouvernement d’entreprise au même titre que les établissements de crédit.
Cette population, nouvelle dans le paysage bancaire, aura besoin d’être épauler, former et guider à travers le chemin menant à l’obtention de l’agrément et qui reste indiscutablement un préalable à tout début d’activités.
C’est là que réside le challenge tant pour les pouvoirs publics que pour les sociétés accompagnantes.
Comment travailler avec cette nouvelle population ?
Comme dit précédemment, les grosses structures ont déjà le savoir faire, la culture risque, elles ont l’habitude de travailler avec des prestataires lorsqu’elles estiment ne pas devoir confier les tâches à leurs services internes et les prestataires ont l’habitude de travailler avec ces grosses structures. Des codes, des pratiques sont déjà établis, on navigue en terrain connu. Toutes ces expériences de travail seront sans aucun doute applicables au contexte des établissements de paiement. Ce n’est pas dans cette relation que se situe le défi.
La question est donc bien de savoir quelle relation construire avec la population qui va s’appuyer sur son domaine d’expertise (informatique, technologique, marketing ou autres) pour développer et exploiter un concept innovant à travers un établissement de paiement.
Cette réflexion doit être menée sur l’ensemble de la chaine d’accompagnement :
L’ autorité de contrôle (ACP : Autorité de contrôle prudentiel)
Il est primordial que l’ l’A.C.P. prenne la mesure de ces nouveaux entrants qui fonctionnent avec des structures légères et sur des cycles (très) courts. C’est l’ l’A.C.P. qui aura en grande partie la lourde responsabilité du succès ou de l’échec des établissements de paiement français. L’agrément en tant qu’établissement de paiement est indispensable, il n’est pas question de remettre en cause se préalable à l’accès à la profession d’autant que cette étape est très structurante pour la start-up. En revanche, cette première étape ne doit pas être vue comme quelque chose d’incertain (en temps et en coût) pour la jeune société.
Tout d’abord, l’A.C.P. doit avoir les moyens de jouer son rôle et avoir la capacité d’être réactive lorsqu’elle est sollicitée. Ensuite, elle doit être transparente sur les critères d’évaluation et d’acceptation et proposer des guides, FAQs, documentation permettant aux futurs établissements d’intégrer dès le départ les contraintes liées au statut d’établissement de paiement.
Elle doit se moderniser et impérativement mettre en place grâce à internet des processus facilitant les interactions et la communication avec les candidats ou la communauté. Une refonte du site web de l’A.C.P. ne serait pas malvenue non plus.
L’A.C.P. doit être en écoute active du retour terrain remonté par les établissements de paiement existants et l’intégrer dans ses réflexions.
L’ A.C.P. doit détailler sa vision des conditions d’accès à la profession. Par exemple, L’ A.C.P. doit être transparente sur le niveau de compétences exigées pour les dirigeants. Quels sont les critères objectifs qui servent à l’ A.C.P. pour définir que « les personnes déclarées responsables de la gestion des activités de services de paiement de l’établissement de paiement possèdent l’honorabilité ainsi que la compétence et l’expérience nécessaires à leur fonction et requises pour les activités de services de paiement aux fins de garantir une gestion saine et prudente » (Art.L. 522-6.-II b du CMF)
Ces précisions permettront de quantifier en amont l’écart entre les compétences des dirigeants et les exigences de l’ A.C.P. et préparer une remise à niveau des dirigeants ou de choisir la recherche sur le marché du profil adéquat. Plus généralement, des critères d’exigences et d’appréciation bien connus, associés à des circuits décisionnels courts permettent de traduire au moment de l’élaboration du plan de financement le cout de la procédure d’agrément avec comme effet de donner une bonne visibilité aux investisseurs potentiels.
Notons pour finir que l’ A.C.P. est en concurrence avec les autres autorités de contrôle de l’UE et qu’il sera tentant pour les startups d’aller demander leur agrément ailleurs pour ensuite revenir en France grâce au passeport prévue dans la DSP. Plus positivement, si la France apparait comme un pays attractif pour les établissements de paiement, on pourra voir des sociétés étrangères se décider à poser leur premier pied en France pour ensuite s’étendre sur l’Europe.
Prestataires de services (Consultants, SSII, Conseillers Juridique, etc.)
Il est clair qu’on ne peut pas travailler avec ces structures comme on travaille avec des sociétés déjà établies et en activité. Le partage de la prise de risque doit être accepté par les prestataires et sera de toute façon demandé par les prétendants au statut d’établissements de paiement.
Du coté des sociétés accompagnantes, c’est-à-dire principalement avocats, experts-comptables, monéticiens, sociétés de conseils (IT ou financier), il est indispensable d’avoir une offre de services s’adaptant à cette population avec une facturation des services établie au plus juste, ceci passera obligatoirement par des offres au forfait, la facturation journalière ou horaire n’est pas envisageable dans cette phase de pré-agrément.
Banques comme fournisseurs de services aux établissements de paiement
Les banques ont aussi un rôle important à jouer dans le succès ou l’échec des EP en France. En effet, les établissements de crédit doivent être en mesure de fournir un certain nombre de services aux EP dont certains sont indispensables pour l’obtention de l’agrément. Sont-elles prêtes à fournir la mécanique nécessaire aux établissements de paiement pour qu’ils puissent se développer ? Pas sur ! En tout cas, pas pour l’instant. Comme le montre l’exemple de Cards Off, le 1er établissement de paiement Français à avoir obtenu l’agrément sous conditions suspensives dont l’une est la mise en place du compte de cantonnement. Comme l’écrit Denis Gaultier, D.G. de Cards Off, dans son blog (http://cardsoff.blogspot.com/) le 14/05/10 : «[…] Il est cependant surprenant de voir que très peu de banques françaises soient familières avec ces dispositions, et je redoute que pas mal de candidats au statut d’Établissement de Paiement rencontrent des difficultés à obtenir un compte « L 522-17 compatible ».
L’article L522-17 précise que [Les] fonds [reçus dans le cadre d’opérations de paiement] sont protégés dans les conditions prévues à l’article L. 613-30-1 contre tout recours d’autres créanciers de l’établissement de paiement, y compris en cas de procédures d’exécution ou de procédure d’insolvabilité ouverte à l’encontre de l’établissement.
Le rôle que les banques françaises entendent jouer sur ce secteur reste incertain. L’une des seules banques a s’être clairement positionnée sur ce secteur (à la connaissance de l’auteur) est Arkea en créant un département dédié (Pro Capital Banking Services).
Banques comme concurrentes des établissements de paiement
La tentation pourrait être grande pour les établissements français de continuer à faire pression sur les autorités de façon à ralentir la mise en place des établissements de paiement. Il n’y a pas à ce jour, d’étude montrant dans quelles mesures les établissements de paiement menaceraient les banques. De toute façon toute résistance est vaine dans la mesure où les banques ne pourront pas empêcher l’arrivée d’EP venant de l’étranger via le passeport européen.
Elles pourraient aussi voir les établissements de paiement comme de fabuleux laboratoires à innovations qu’il serait toujours temps de racheter en temps voulu. Dans cet optique, il est stratégique pour les banques de se positionner comme un fournisseur de services (voir point précédent) ; l’intégration de la nouvelle structure n’en sera que plus aisée.
Les éditeurs de logiciels
Toute la mécanique bancaire (tenue de compte de paiement par exemple) n’est pas un facteur de différenciation compétitive pour les établissements de paiement. Elle doit et peut être trouvée «sur l’étagère», puisqu’elle découle de ce qui est utilisé dans les établissements de crédit.
On a pu lire dans la presse que l’éditeur italien SIA-SSB avait lancé sa suite logiciel pour les établissements de paiement. C’est une offre qui accompagne le développement de l’établissement de paiement. Il s’agit du premier éditeur qui communique sur le sujet, il semblerait que Viveo s’y intéresse également.
En tout cas, il n’est pas nécessaire de réinventer la roue, il suffit que des offres adaptées aux besoins et aux moyens des établissements de paiement soient disponibles. Il semblerait que ce sera le cas.
Les établissements de paiements
Les établissements ont aussi leur rôle à tenir. Outre le caractère innovant des produits que les établissements de paiement vont proposer et qui leur permettra de séduire les consommateurs, il faut également que les premiers EP véhiculent une image de sérieux et agissent avec professionnalisme auprès du grand public. Dans ce monde en construction et donc par définition fragile, on ne peut imaginer qu’avec crainte l’impact qu’aurait la mauvaise gestion d’un établissement de paiement. La défaillance de l’un entrainerait sans aucun doute des répercussions sur les autres et créerait une méfiance du public vis à vis de la profession toute entière.
La communauté des établissements de paiement
Un esprit communautaire doit guider les établissements de paiement. C’est un point très important. Ceci favorisera l’accès à la profession et sera un moyen pour faciliter la prise en compte par les nouveaux des contraintes communes à tous les établissements de paiement. Evidemment, il ne s’agit pas de partager les données et compétences critiques de l’entreprise mais de partager par exemple, son expérience de la réglementation, sa connaissance de l’environnement, etc.
Un livre de bonnes pratiques concernant les établissements serait un bon point de départ.
On ne peut plus à notre époque créer la valeur de sa société en protégeant un savoir faire qui touche à du réglementaire pur. Les banques l’ont compris en créant les usines de paiement pour partager les couts des mises en conformité de leur plateforme de paiement.
Il faut également et cela sera d’ailleurs sans doute le rôle de l’AFEPA (Association Française des Établissements de paiement)de faire du lobbying auprès des autorités de contrôle pour que le cas « établissement de paiement » soit traité conformément à l’esprit de la DSP, avec équité et s’assurer également que les critères d’appréciation soient cohérents par rapport aux autres pays où s’appliquent la DSP.
Il faudra aussi créer un observatoire européen des établissements de paiement (incluant les prétendants) qui servira à dégager des tendances sur les services et moyens de paiement mais aussi à fournir des informations sérieuses aux investisseurs intéressés par ce secteur.