Monnaie électronique : la carte prépayée peut-elle réduire l’exclusion bancaire ?
Début mai, la France a transposé, avec deux ans de retard, une directive européenne créant le statut d’établissement de monnaie électronique. Un nouveau type d’acteur est ainsi apparu aux côtés des banques et des établissements de paiement. Quelles incidences pour les particuliers ? Bruno Joanides, directeur de l’activité nouveaux services de paiement du cabinet de conseil Syrtals, réfute l’idée d’un chamboulement de l’offre. Mais il évoque une concurrence accrue sur le marché des cartes prépayées, ce qui pourrait permettre à plus de Français d’accéder à ce moyen de paiement.
Depuis l’instauration du statut d’établissement de monnaie électronique, début mai 2013, quels projets ayant de réelles incidences pour les consommateurs ont pu être lancés ?
Au risque de vous décevoir, la création du statut d’établissement de monnaie électronique (EME) n’a pas vraiment créé de nouveaux usages. Elle a plutôt permis à un certain nombre d’établissements d’obtenir un statut réglementé accessible pour une activité qu’ils exerçaient avec des partenaires. Par exemple, les sociétés proposant un portefeuille électronique ou celles proposant une carte de paiement prépayée n’ont plus besoin de s’adosser à une banque pour exercer. Le statut d’EME est en outre très proche du statut d’établissement de paiement, qui a été créé en 2009 par la directive sur les services de paiement. La Commission européenne projette d’ailleurs de fusionner les deux directives instituant ces statuts. Ceci dit, on peut présager que la monnaie électronique va être amenée à devenir de plus en plus répandue parce que ce type de paiement est désormais plus simple à mettre en œuvre (1) et parce c’est le montage le plus naturel lorsqu’on veut lancer des nouveaux moyens de paiement sur mobile.
Le Compte-Nickel, créé en partenariat avec les buralistes, est un établissement de paiement. Risque-t-on de voir émerger des EME concurrençant le Compte-Nickel ?
Oui, certainement. Après, il faut pouvoir disposer d’un réseau comparable (NDLR : en s’appuyant sur les bureaux de tabac, le Compte-Nickel dispose potentiellement de 27.000 points de vente). Le statut d’EME devrait toutefois, à terme, trouver une utilité auprès des personnes non bancarisées. Ce statut facilite le développement de l’offre de cartes de paiement prépayées (NDLR : exemple, pour la SFR Paycard, l’opérateur de téléphonie mobile s’est associé avec l’établissement de monnaie électronique Wirecard). Grâce à ces cartes, les personnes non bancarisées peuvent en théorie régler leurs achats sans disposer de compte bancaire. De plus, lorsqu’il s’agit de monnaie électronique, les exigences en terme de connaissance client sont allégées à condition toutefois que les fonds remis ne dépassent pas 250 euros si le dispositif n’est pas rechargeable et 2.500 euros par an s’il l’est. Mais l’entrée en vigueur du statut d’EME a surtout permis de lancer des services de paiement pour mobiles, comme la solution de paiement par smartphone Flashiz. De nouvelles offres sont aussi apparues pour les coupons (NDLR : il s’agit d’un fonctionnement proche de celui du bon d’achat. Des sociétés comme Ukash ou Groupon utilisent le coupon). Des services de préchargement de paiement de parking ont aussi été développés. Des collectivités locales utilisent ce système, parfois couplé avec un QR code (NDLR : code barre lisible avec un smartphone) qui facilite la transaction.
Dans quel secteur ce statut a-t-il une chance de faire réellement bouger les lignes ?
Le secteur des cartes cadeau risque d’être impacté. Les émetteurs de telles cartes avaient notamment construit leur business model sur le concept du « perdu périmé ». Si les cartes cadeaux n’étaient pas utilisées après une certaine date, les fonds étaient perdus. Avec la nouvelle réglementation l’utilisateur pourra se faire rembourser les fonds à tout moment.
Avec l’émergence d’établissements de paiement et de monnaie électronique, les usagers sont-ils aussi bien protégés que dans une banque ? Ces acteurs ne sont pas soumis au fonds de garantie de 100.000 euros, à l’information annuelle sur les frais, à la norme de présentation des tarifs…
La protection du consommateur est assurée par la réglementation. Ces établissements ne cotisent pas au fonds de garantie mais ils n’en ont pas besoin. Les EME doivent détenir un montant en fonds propres proportionnel à la monnaie électronique en circulation (NDLR : leurs fonds propres doivent s’élever à 2% minimum de la monnaie électronique en circulation), tout comme les établissements de paiement (EP) conservent un montant proportionnel aux fonds détenus pour des tiers. Il n’y a donc pas de risque accru au niveau de la solvabilité. Ils sont aussi soumis à la réglementation sur le blanchiment d’argent, sur le financement du terrorisme ainsi qu’aux exigences de contrôle interne applicables aux banques. En outre, la réglementation impose à chaque EME ou EP d’avoir un contrat cadre qui comporte les tarifs, les frais et les conditions d’utilisation des services proposés par les établissements. L’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) veille à ce que tout ceci soit bien respecté.
(1) Depuis la transposition de la Directive sur la monnaie électronique 2 (DME2).