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Vous avez dit super-apps ?
Sous ce vocable, il est communément question de qualifier les applications mobiles/wallets ayant la capacité de fédérer des dizaines, voire des centaines de fonctionnalités permettant aux utilisateurs de trouver en un même « lieu » quasiment tout ce dont ils ont besoin dans leur quotidien, sans la nécessité de se connecter à de multiples fournisseurs.
Les meilleurs modèles et sources d’inspiration nous viennent évidemment de Chine avec le succès inouï des solutions Wechat ou Alipay qui sont désormais devenues quasiment incontournables pour plus d’un milliard d’individus.
Ces derniers peuvent, en effet, accéder à une myriade de services pour communiquer, acheter, payer, réserver, déclarer, emprunter, se divertir, se faire livrer, bénéficier de bons plans… grâce à l’intégration de milliers de mini-programmes.
Si les filiales des groupes Tencent et Ant ont fait régulièrement des émules au fil des ans, à date, aucun autre acteur n’a réussi à les égaler de près ou de loin, pour diverses raisons :
- contextes et marchés différents, notamment en Europe et aux États-Unis ;
- réglementation nationale ou continentale veillant à limiter l’avènement de prestataires dominants ;
- habitudes des consommateurs qui préfèrent utiliser des dizaines d’applications distinctes en fonction de leurs besoins et centres d’intérêt.
Néanmoins, les initiatives ne manquent pas de la part de protagonistes d’origines diverses pour tenter de s’approcher du graal de la super-app.
Issus des métiers du jeu, du e-commerce, des VTC ou de la livraison à domicile, Sea, Grab et GoTo rayonnent en Asie du Sud-Est avec leurs apps qui agrègent toute une série de services additionnels au-delà de leur core-business.
Ainsi, l’offre du Singapourien Grab (le Uber local à l’origine) comprend-elle aujourd’hui : livraison de repas à domicile, achats e-commerce, envoi express de colis/documents/articles, mobilité, paiement mobile, produits financiers (assurance, investissement), réservation hôtelière, cartes cadeaux… Spécialisée initialement dans la livraison à domicile, la licorne colombienne Rappi emprunte une trajectoire similaire en étoffant sa gamme de prestations : e-commerce, paiement mobile, assurance, épargne, crédit, voyages…
À défaut de bâtir de véritables super-apps, d’aucuns valorisent leurs bases de clients et leurs marques en prenant pied dans le domaine des paiements et services financiers, à l’instar du Sud-Américain Mercado Libre avec Mercado Pago ou les leaders des messageries japonais et sud-coréen Line et Kakao. Ils ont en tout cas rencontré un vif succès dans leurs régions d’origine et exportent leur savoir-faire dans plusieurs pays voisins. Désormais coté en Bourse, KakaoPay est valorisé plus de 5 milliards US$.
Il ne faut guère oublier les percées indéniables des Nord-Américains Apple (paiement, transit, PtoP, BNPL, épargne), Google Wallet, PayPal et Amazon ainsi que les diverses tentatives plus ou moins fructueuses de Meta.
D’autres acteurs s’invitent également dans cette arène, comme la néo-banque Revolut qui, partie des cartes de paiement, propose à ses 35 millions de clients une vaste panoplie de services financiers (comptes, cartes, crédit, épargne, cryptos, assurance…) et « life style » (voyages, téléphonie…). Idem, dans une certaine mesure, quant au leader mondial du BNPL Klarna qui intègre toute une batterie de fonctionnalités complémentaires en se transformant en super-app de shopping.
En Afrique, nul besoin de rappeler le succès remarquable des services de paiement des opérateurs télécom (MTN, Airtel, Orange, Vodafone…). Ne s’arrêtant pas en si bon chemin, M-Pesa a lancé sa super-app en 2021 en surfant sur son parcours prodigieux dans les paiements. Outre sa diversification dans les services financiers, sa super-app propose plusieurs dizaines de rubriques additionnelles (ex : shopping, réservations, voyages, ticketing, streaming, livraison à domicile…).
Orange Money tente de lui emboîter le pas depuis quelques mois avec Max-it qui ajoute aux services paiement/finance des contenus digitaux (jeux en ligne, musique, TV, vidéos) et un service de billetterie digitale.
Enfin, un ultime larron songe fortement à damer le pion aux établis de longue date, et non des moindres, à savoir Elon Musk. Il faut dire que de la bagnole à la banque, il n’y a qu’un tweet ! Aussi fantasque que talentueux, il n’aspirerait, rien de moins, qu’à chambouler l’ordre de l’industrie bancaire avec son réseau social rebaptisé « X » (lettre fétiche depuis ses premiers pas d’entrepreneur), comme il l’a fait brillamment avec les véhicules électriques et les lanceurs spatiaux.
En synthèse et au-delà de l’abus de langage – s’arroger le titre emblématique et si convoité de super-app doit se mériter – la réalité est toute autre comme nous l’avons vu dans plusieurs contrées. Il n’en demeure pas moins que l’élargissement de l’offre de services a déjà permis à certains d’étendre leur rayon d’action dans des domaines où ils n’avaient aucune légitimité. En outre, les plus puissants ou astucieux d’entre eux perçoivent des flux de rémunération significatifs dès lors que les tiers « onboardés » doivent s’acquitter d’une espèce de redevance comme les Apple & co l’ont fort bien démontré avec leurs wallets multifonctions.
Si ce ne sont pas de véritables super-app à la sauce chinoise, ce sont pour le moins des portes d’entrée qui génèrent des trafics conséquents de visites que les protagonistes en question savent monnayer à merveille.
Vous avez dit « gate keepers » ou « money makers » ?