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Gestion des risques de marché : l’autonomie des filiales désormais exigée par la BCE
Les filiales des établissements bancaires doivent désormais gérer de manière autonome les risques du marché. Passage en revue des adaptations nécessaires et des stratégies à leur disposition pour se conformer à ces nouvelles attentes.
Depuis 2018, la BCE ne cesse de durcir ses exigences en matière de gestion des risques à travers plusieurs guidelines et lettres de supervision adressées aux établissements bancaires. Plus récemment, ces exigences ont été intégrées dans le cadre du Supervisory Review and Evaluation Process (SREP) et figurent désormais parmi les Supervisory Priorities 2025-2027. Ces priorités mettent particulièrement l’accent sur la robustesse des contrôles internes, la gouvernance locale et l’autonomie des fonctions de gestion des risques. L’objectif poursuivi par la BCE est clair : renforcer la stabilité financière en Europe en veillant à ce que les filiales de groupes non européens gèrent de manière autonome les risques inhérents à leurs activités de marché.
La principale pratique visée par cette évolution réglementaire est le recours au back-to-back avec la maison mère. Cette technique consistait, pour les filiales locales, à retransférer l’intégralité ou une partie de leurs positions de marché à leur maison mère. Ainsi, c’était cette dernière qui assumait la gestion du risque de marché, tandis que les positions finales de la filiale restaient nulles ou marginales.
Désormais, cette pratique est explicitement découragée par la BCE. Les filiales doivent gérer localement leur propre risque de marché, sans transfert automatique vers la maison mère. En conséquence, les filiales deviennent pleinement responsables de la définition et du suivi de leurs limites de marché (par produit, devise, maturité…). Elles doivent mettre en place une politique de gestion du risque de marché, incluant des limites de Value at Risk (VaR), ainsi que des stress tests adaptés à leur profil d’activité.
Si cette évolution renforce l’autonomie locale des filiales, elle leur fait aussi perdre une source importante de mutualisation des risques avec la maison mère, qui pouvait autrefois lisser les expositions au niveau global.
Une couverture des risques nécessaire
Cette autonomie accrue a un impact direct sur les exigences en fonds propres. Les régulateurs locaux (ACPR, BCE, etc.) demandent désormais aux filiales une allocation de capital plus stricte, proportionnelle aux risques de marché qu’elles portent directement.
Sans back-to-back, les filiales perdent également la possibilité de compenser certaines positions avec celles de la maison mère ou d’autres entités du groupe. Chaque position ouverte localement doit être couverte ou gérée de façon autonome, ce qui peut entraîner une plus grande volatilité des résultats financiers.
Les filiales doivent donc se tourner directement vers le marché pour se couvrir, en traitant avec des contreparties externes (banques locales, plateformes de marché, etc.).
Ce qui entraîne un coût de couverture plus élevé et une exposition accrue au risque de contrepartie, auparavant limité grâce aux relations intra-groupe.
Vers une gouvernance renforcée
Les régulateurs européens attendent désormais des filiales qu’elles démontrent une gouvernance locale robuste en matière de gestion du risque de marché. Cela se traduit par un reporting renforcé et adapté aux exigences locales ; des processus de contrôle interne plus stricts ; une meilleure traçabilité des décisions de trading, avec une implication forte des organes de gouvernance locaux.
Privées du filet de sécurité offert par la maison mère, de nombreuses filiales adaptent ainsi leur stratégie. Elles tendent à réduire leurs positions ouvertes, limiter leur exposition globale au risque de marché et se recentrent sur des activités de marché plus simples ou à moindre risque.
Il est évident que ce recentrage peut entraîner une baisse de la contribution des salles de marché locales aux résultats globaux du groupe. Il pose ainsi la question de la compétitivité des filiales non européennes face à leurs concurrentes locales qui peuvent parfois bénéficier d’une plus grande flexibilité.
La volonté de la BCE de renforcer l’autonomie locale en matière de gestion du risque de marché constitue un changement de paradigme pour les filiales de groupes bancaires non européens. Ce cadre plus strict, s’il vise à préserver la stabilité financière européenne, oblige les établissements concernés à repenser en profondeur leurs processus de gestion des risques, leur modèle de couverture et leur allocation de capital. Il en résulte une adaptation stratégique qui, à terme, pourrait réduire l’empreinte des salles de marché de filiales non européennes en Europe.