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Fadhel El Elmi

Lutte contre le blanchiment de capitaux et lutte contre la fraude : deux dispositifs distincts, mais synergiques

Lutter contre la fraude et le blanchiment des capitaux est, de nos jours, un des sujets centraux des discussions des gouvernements des entreprises financières.
Avec la révolution mobile des années 2000, et particulièrement le lancement des premiers smartphones en 2007, les techniques de blanchiment et de fraude se sont fortement développées. Elles continuent de se développer avec l’utilisation de l’intelligence artificielle.
Face à cette augmentation, les entités de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement de terrorisme (LCB-FT) et de lutte contre la fraude (LCLF) ont pris une importance cruciale dans la gouvernance des établissements financiers soucieux de protéger leurs actifs et leurs business.

Le blanchiment comme conséquence de la fraude

Selon le COSO , une fraude est tout acte intentionnel ou toute omission intentionnelle ayant pour but de tromper autrui, et qui entraîne une perte pour la victime et/ou un avantage pour l’auteur de l’acte.
La Banque de France définit la fraude comme l’utilisation illégitime d’un moyen de paiement ou des données qui lui sont attachées, ainsi que tout acte concourant à la préparation ou à la réalisation d’une telle utilisation.
Selon le Conseil de l’Union européenne (UE), le blanchiment de capitaux correspond au processus au moyen duquel les criminels dissimulent l’origine illicite de leurs avoirs. Ils utilisent des systèmes financiers souterrains pour traiter les transactions et les paiements à l’abri des mécanismes de surveillance.
La 6AMLD (Directive UE 2018/1673) a introduit, dans son article 2, une liste de 22 infractions comme sources potentielles de fonds illicites. La fraude fait partie de cette liste.
Du fait de leur définition respective, la fraude et le blanchiment sont deux infractions à la fois différentes et complémentaires.
Ainsi, les capitaux blanchis peuvent avoir comme origine une fraude telle que : la fraude fiscale, la cybercriminalité, la fraude aux marchés financiers, l’usurpation d’identité, la fraude aux subventions publiques …
Il faut savoir que la fraude représente de nos jours une part importante des sources de blanchiment de capitaux. En effet, le NASDAQ VERAFIN a estimé, dans son rapport mondial sur la criminalité financière 2024, à 3,1 trillions de dollars d’opérations de blanchiment dans le système financier mondial dont 485,6 milliards de dollars provenant d’activités de fraude.

Une surveillance basée sur une synergie

Une lutte efficace contre la fraude et le blanchiment passe d’abord par une bonne gouvernance des établissements financiers.
La création d’entités distinctes pour la LCB-FT et la LCLF au niveau de l’organigramme dépend de leur taille. Dans tous les cas, les dispositifs pour l’identification, l’analyse, l’évaluation, le traitement et le monitoring des risques doivent être déployés d’une manière distincte tant les risques découlant de ces deux thématiques diffèrent.
La formalisation de procédures opérationnelles permet non seulement d’être en conformité avec les exigences réglementaires, mais aussi de structurer de façon efficace et transparente les processus déployés en interne. Des procédures distinctes sont fortement recommandées, mais doivent permettre une collaboration et un échange direct et permanent entre les deux entités.
L’utilisation d’outils permettant d’automatiser la surveillance des risques de blanchiment et de fraude peut être indispensable tenant compte de la taille de l’entreprise et des volumes des flux pour alerter à temps les dirigeants effectifs. Ces solutions qui contiennent des scénarios de déclenchement (triggers) d’alertes peuvent être développées en interne ou sous-traitées auprès de RegTech (Regulatory Technology) spécialisés. Cependant, des examens complémentaires doivent être forcément réalisés par les analystes blanchiment et les analystes fraude pour statuer sur les alertes. C’est à ce niveau, entre autres, que la synergie des deux dispositifs devient essentielle. La participation des membres des deux entités pour brainstormer sur les triggers n’en sera que bénéfique.
Enfin, il va de soi qu’un dispositif ne saura être efficace et performant sans la mise en place de canaux de communication et de reporting (tels que des boîtes mails dédiées aux alertes, des comités réguliers où devraient participer les entités LCBFT et LCLF, des rapports périodiques…). Une information n’est dite pertinente que si elle permet la prise de décision à temps.

Une sécurisation renforcée avec la réglementation européenne

Face à l’exposition continue au risque de fraude et dans le souci de préserver la confiance dans les moyens de paiement, la Commission européenne a décidé d’amender la DSP2/EME2 par la Nouvelle directive sur les services de paiement (DSP3) et de promulguer le Règlement sur les services de paiement (RSP) afin de renforcer la lutte contre la fraude. Ces nouveaux textes devraient entrer en vigueur en 2026.
Si certaines mesures sont calquées sur les textes de la LCB-FT, d’autres sont plutôt innovantes. Ces obligations sont les suivantes :

  • la mise en place d’une coopération entre les États membres de l’UE, d’une part, et entre les établissements intervenant sur le processus de paiement (tels que les banques, les établissements de paiement, les prestataires de services de communications électroniques…), d’autre part ;
  • la vérification des bénéficiaires des paiements (VoP) déjà introduite par le règlement 2024/886 sur l’Instant Paiement et qui couvre maintenant les virements classiques avec le RSP ;
  • Le renforcement de l’authentification forte et l’élargissement de son accessibilité aux publics vulnérables (personnes handicapées, âgées ou sans accès numérique) ;
  • le renforcement de la protection contre les usurpations d’identités (spoofing) ;
  • le contrôle des opérations de paiements selon des facteurs de risque propres à la fraude ;
  • la sensibilisation régulière des employés des établissements financiers, mais aussi de leurs clients sur les risques de fraude.

La conformité aux réglementations ne doit pas être perçue comme une contrainte ni comme un frein à l’innovation, mais plutôt comme un levier essentiel pour assurer une offre de service fiable et sécurisée. Elle garantit la qualité tout en renforçant la confiance et la sérénité des utilisateurs. Au-delà d’une simple obligation, elle constitue un atout majeur pour la pérennité des établissements et de l’écosystème financier.

1. COSO – FRAUD RISK MANAGEMENT GUIDE – March 2023, page 8
2. Qu’est-ce que le blanchiment de capitaux – Consilium
3. Nasdaq Verafin 2024 Global Financial Crime Report | Nasdaq