Laurent ROUILLAC Newsletter N 33 mars 2022
L’instrument de paiement : d’outil du quotidien à arme géopolitique
Il y a quelques semaines, les pays européens et les États-Unis annonçaient des sanctions économiques et financières sans précédent contre la Russie. L’instrument de paiement s’est retrouvé au cœur des discussions et s’est avéré être un enjeu majeur dans la géopolitique actuelle.
De façon progressive, mais continue depuis des années, ces instruments n’ont cessé d’évoluer en termes d’imbrication dans le commerce qu’il soit de détail ou de gros.
Les zones d’acceptation des différents instruments, des cartes aux flux se sont étendues avec le SEPA, mais également avec les schémas internationaux de cartes.
L’instantanéité des transferts, le suivi et les capacités de filtrage ont progressé dans le même sens pour que cette industrie soit capable, en toute sécurité, d’accepter des volumes de plus en plus importants.
En 2020, avec le début de la pandémie mondiale de COVID-19, l’instrument de paiement est entré dans nos vies avec la montée en charge du commerce électronique et a permis à tous de continuer avec un semblant de normalité, malgré les confinements ; il a assuré la transition vers le télétravail, a maintenu le niveau de consommation… au point de devenir un outil incontournable de notre quotidien.
Aujourd’hui, l’actualité internationale nous prouve que la résilience et la capacité d’adaptation des nouveaux moyens de paiement se jouent dans le positif comme dans le négatif. Dans une période d’affrontement entre deux blocs, les moyens de paiement peuvent être contrôlés et les flux stoppés de manière instantanée. Il s’agit d’une situation inédite tant au niveau de la portée de la sanction qu’au niveau de sa structure : les gouvernements publics et les entreprises privées unissent leurs volontés.
Cette évolution est-elle surprenante ? Pas forcément. En effet, la monnaie a toujours joué un rôle immense dans nos sociétés et a toujours été un instrument de pouvoir. La différence ? L’instrument de paiement n’est aujourd’hui plus limité à un pays ni à sa souveraineté : il s’agit désormais d’un flux international. Il se déplace et ne peut être bloqué par une frontière. La rapidité avec laquelle il peut être interrompu est sans égale : cela n’existe dans aucun autre domaine. Ce pouvoir et cette vélocité questionnent profondément le rééquilibrage, à terme, des normes internationales et domestiques.
À l’heure actuelle, les réglementations sont encore centrées sur les pays et les zones géopolitiques. Pourtant, l’enjeu de l’internationalisation des flux de paiement, ainsi que les questions d’hégémonies et de souveraineté que cela pose doivent être mis au premier plan. Cette sensibilité façonne les allégeances et interroge sur la pertinence de laisser s’installer des monopoles de providers pour la souveraineté commerciale des pays et ouvre de nouvelles perspectives de débat… La monnaie était déjà un moyen de pression, les instruments de paiement l’ont rejoint dans cette dimension politique.