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BNPL, point d’inflexion ?
Le BNPL, Buy Now Pay Later, fait indéniablement partie des phénomènes clés de ces dernières années dans l’industrie des paiements à l’échelle globale.
Tous les signaux ont été au vert au fil du temps : croissance forte des volumes, levées de fonds et valorisations au sommet, pléthore d’acteurs en lice et naissances ininterrompues aux côtés des historiques bancaires, appétences fortes de la part des consommateurs et des commerçants…
Était-ce trop beau pour durer ? En tout cas, pas avec la même frénésie voire démesure. En effet, les fintechs spécialisées dans les paiements fractionnés ou différés font face, depuis six à 9 neuf mois, à des difficultés dans un contexte économique qui s’est retourné et qui a mis en lumière la fragilité de leur modèle.
Certaines d’entre elles sont notamment contraintes de dégraisser et de s’attacher à leurs fondamentaux et sans surprise, leurs valorisations (pour les entités publiques ou privées) sont mises à mal :
- Klarna de 45 milliards $ US à 8 milliards $ US entre 2021 et 2022 ;
- Affirm (Nasdaq) et Zip (Bourse australienne) : chutes respectives de l’action de 80 % et 87 % en un an.
Par ailleurs, le régulateur a commencé à scruter les pratiques en vigueur et à considérer si les facilités de paiement ne devaient pas, dans une certaine mesure, relever des réglementations s’appliquant au crédit à la consommation ou aux cartes de crédit.
C’est ainsi que nous avons assisté depuis 2020 à une série de communications émanant des autorités états-unienne, britannique, européenne et australienne. Et cela s’est désormais accéléré.
Outre-Atlantique, le CFPB (Consumer Financial Protection Bureau) en est venu à demander, en mars 2022, à cinq fournisseurs opérant aux États-Unis – Affirm, Klarna, Afterpay (Block), PayPal et Zip – de lui fournir moult informations et documents. Il vient de publier en septembre un rapport sur la situation BNPL intitulé « Tendances de marché et impacts pour les consommateurs ».
En voici les principaux contenus :
L’offre la plus répandue consiste à proposer gratuitement le remboursement du montant emprunté en 3 ou 4 tranches égales sur 6 semaines.
Les frais de retard appliqués sont de 7 $ US en moyenne pour un prêt moyen de 135 $ US
Entre 2019 et 2021, les cinq acteurs cités précédemment ont vu leurs productions bondir de 970 % en nombre d’opérations (de 16 à 180 millions) et de 1 092 % en valeur (de 2 à 24,4 milliards $ US).
Preuve de la diversité des cas d’usage, les secteurs mode et beauté représentent 58 % des demandes en 2021, contre 80 % en 2019.
Le taux d’acceptation passe de 69 % et 73 % entre 2019 et 2020 et le montant moyen contracté de 121 $ US à 135 $ US sur la même période.
10,5 % des emprunteurs paient des frais de retard en 2021 contre 7,8 % un an plus tôt.
Tout en reconnaissant certaines vertus au BNPL, le CFPB pointe des manquements en matière de communication sur les conditions de fonctionnement du prêt, des « dérives » quant à l’exploitation des données et enfin le manque de visibilité quant aux risques encourus par certaines catégories d’usagers dès lors qu’il est impossible d’apprécier l’exposition complète envers de tels produits.
En France, c’est l’ACPR qui a publié en juillet 2022 une note relative aux enseignements de l’enquête par questionnaire menée dans le second semestre 2021 sur les solutions de crédit à court terme (CCT) et de paiement fractionné (PF).
Après un rappel opportun de la réglementation applicable à ces modalités de prêt, nous apprenons ainsi au titre des tendances que :
Entre 2019 et 2020, le nombre de contrats a augmenté, pour l’échantillon retenu, de 21 % pour les PF et de 43 % pour les CCT ;
Cette hausse s’est accentuée au premier trimestre 2021, vs T1 2020 : + 40 % en volume de crédits distribués pour les PF et + 50 % pour les CCT.
63 % des PF et quasiment la totalité des mini-crédits comportaient des frais à la charge exclusive du consommateur.
En 2020, l’encours de PF octroyés par les 11 établissements interrogés s’élevait à 4,8 milliards €, pour 18 millions de crédits et 10,5 millions d’emprunteurs.
L’encours des CCT était de 123 millions € pour 224 000 dossiers et 102 000 clients.
Sur cette période, le montant moyen d’un PF était de 350 € et celui d’un mini-crédit de près de 600 €.
Enfin, les taux d’acceptation ressortaient à 73 % (PF) et 64 % (CCT).
À l’instar du CFPB, l’ACPR note quelques dysfonctionnements ou pratiques à corriger dans les registres suivants, non pas de la part de l’ensemble de la profession, mais de quelques prestataires :
Non-respect de la législation quant au calcul du TEG et à celle du taux d’usure,
Des frais qui ne seraient pas toujours aussi négligeables que cela, voire proches du taux d’usure pour les tranches basses (entre 200 et 500 €)
Les pénalités de retard en cas d’impayés chez 3 établissements sont excessivement élevées et globalement, le consommateur n’est pas suffisamment avisé
En matière de communication, l’ACPR mentionne tout à la fois des manquements et des pratiques vertueuses qui devraient être plus généralisées.
L’analyse de la solvabilité de l’emprunteur doit être plus approfondie, en particulier par un contrôle accru de la capacité de remboursement, en exigeant la transmission d’informations sur sa situation personnelle et financière, ce qui permettrait de lutter contre un risque d’endettement excessif.
Pour autant, et chacun en est bien conscient, il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain comme dit si bien l’adage tant les avantages apportés par le BNPL aux consommateurs sont indéniables : parcours fluide omnicanal ; souscription rapide et sans couture ; dans certains cas, moindre coût que d’autres formules et parfois, non application des frais de retard ; programme de remboursement simple… sans oublier ceux pour les commerçants qui peuvent mieux satisfaire et fidéliser leurs clients.
Les nouveaux venus ont d’ailleurs su apporter de l’innovation et contribuer à la saine dynamique du marché.
Enfin, en cette période de mise à mal du pouvoir d’achat, il n’est sans doute pas souhaitable d’assister à une restriction des règles, ce qui pourrait incommoder d’autant les consommateurs.
C’est dès lors du juste dosage de l’encadrement du BNPL (ni trop, ni pas assez) dont dépendra une issue aussi favorable que pérenne, en gommant les excès, quand il y en a, et en favorisant les pratiques responsables des bons élèves…
À suivre dans les faits évidemment, à l’aune d’un environnement tendu qui ne devrait guère s’estomper de sitôt.