CASH MANAGEMENT
La facture électronique obligatoire : un challenge pour les banques
Le report de l’entrée en vigueur de la facture électronique obligatoire est une opportunité pour les banques d’améliorer davantage la qualité des nouveaux parcours de paiement induits par cette réforme.
Le 28 juillet dernier, la DGFIP a annoncé un report de l’entrée en vigueur des factures électroniques obligatoires, initialement prévue le 1er juillet 2024 pour leur réception (et leur émission pour les grandes entreprises). La nouvelle date d’entrée en vigueur sera définie dans le projet de loi de finances pour 2024.
Ce délai supplémentaire doit être mis à profit par les banques et les acteurs du nouvel écosystème de la facture digitale. Les Plateformes de Dématérialisation Partenaires (PDP) et les Opérateurs de Dématérialisation (OD) qu’ils soient des fintechs spécialisées ou des éditeurs traditionnels d’outils de comptabilité, d’ERP ou de TMS et surtout les banques se doivent d’améliorer les parcours de paiement associés, car force est de constater qu’il reste beaucoup à faire !
En premier lieu, la facture digitale va fortement développer le virement initié via Open Banking car il deviendra naturel de payer les factures chaque jour ou chaque semaine, dès la notification de l’échéance par l’outil de réception de facture.
Or l’expérience client en matière de virement initié via Open Banking est actuellement très variable selon les banques déjà aujourd’hui pour le paiement unitaire, au point que certains initiateurs mettent en place des parcours spécifiques, voire ne proposent pas l’initiation sur certaines banques.
Avec l’entrée en vigueur de la facture digitale, ces écarts de qualité de service vont s’accroître, ce qui va favoriser le paiement par lot des factures à échéances. Certaines banques savent gérer le paiement par lot (bulk) en open banking ; elles utilisent la fonctionnalité de virements sur liste de leur web banking. Mais d’autres ne savent pas gérer le paiement par lot et traitent les virements un par un, avec nécessité d’une authentification forte à chaque virement.
Les entreprises vont rapidement constater ces différences et arbitrer au profit de celle de leurs banques qui leur offre la meilleure fluidité, aidées en cela par les Fintechs qui affichent déjà les capacités des différentes banques à supporter les différentes fonctionnalités.
Certaines banques ont déjà commencé à développer des intégrations spécifiques pour favoriser le parcours de paiement sur leurs comptes via des API propriétaires plutôt que les API DSP2 (par exemple BNP PARIBAS avec LIBEO).
Ceci touchera également les initiateurs de paiements (par exemple, BRIDGE, LINXO, KLARNA, FINTECTURE) dont on constate qu’ils n’ont pas les mêmes capacités en matière de fluidité des parcours selon les banques ou a gérer le paiement par lot. Ceci devrait favoriser l’apparition d’orchestrateurs de PISP AISP d’initiateurs de paiement et d’agrégateurs d’informations, de façon à maximiser la qualité globale du parcours proposé par les Opérateurs de Dématérialisation.
Deuxième impact important, la facture digitale va réduire considérablement le trafic transactionnel sur les web banking des banques. Toutes les entreprises devant avoir une solution pour dématérialiser les factures en émission devront s’équiper de solutions de paiements intégrées, qui existent déjà dans les grandes entreprises et ETI équipées d’outils de communication bancaire (BCT) ou de gestion de trésorerie (TMS), et n’utiliseront leur portail bancaire qu’à la marge. Il en sera progressivement de même pour les entreprises de plus petite taille qui utiliseront leur portail de facturation pour payer, en initiation de paiement open banking ou par envoi de fichiers (mono bancaire ou EBICS). Contrairement aux grosses entreprises et ETI ne changeront probablement pas leur process de paiement, les TPE et PME n’auront pas de frein à évoluer.
Face à ce risque, les banques vont chercher à intégrer leur propre plateforme de dématérialisation (en marque blanche ou en partenariat) pour conserver du trafic sur leur portail bancaire et garder également une capacité à favoriser l’utilisation de leurs comptes bancaires pour le paiement par une meilleure intégration au paiement de factures. Des travaux d’intégration sont en cours dans certaines banques (CM CIC semblant être le plus avancé).
Troisième risque important pour les banques lorsque la facture digitale fonctionnera pleinement en émission (application progressive selon la taille des entreprises) et réception : les opérateurs de digitalisation proposeront des services de compensation (« netting »).
Si une entreprise émet 80 € de factures et en reçoit 100 € à payer à la même date d’échéance, il est facile de lui proposer de ne payer que 20 € par débit de son compte bancaire. Sur un plan réglementaire, il suffit que l’OD soit agent d’un Établissement de Paiement ou Établissement de Paiement lui-même pour proposer une ouverture de compte de paiement (« wallet »), qui désintermédiera les banques sur leur cœur de métier.
Selon le même principe, les OD peuvent entrer sur la chaîne de valeur de l’affacturage ou du crédit quand il s’agira de payer certaines factures à la place de l’entreprise.
Face à ce risque, les banques vont devoir promouvoir leurs services de paiement, affacturage et crédit en API pour que les entreprises puissent y accéder, quel que soit le portail de digitalisation qu’elles auront choisi.
La facture digitale représente donc un énorme challenge pour les banques et les sociétés d’affacturage et beaucoup de travail reste à effectuer pour être totalement prêt. Le report de l’entrée en vigueur de la réglementation est bel et bien une opportunité de mieux se préparer sur les prochains mois.